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Corps

Maeva Chalvet

Pain, tissu, photographie, 50 x 10 cm, 

Dax (40), France, 2020

La transsubstantiation (en latin : transsubstantiatio) désigne la transformation surnaturelle d’une substance en une autre. C’est un terme à profonde connotation religieuse, qui correspond chez les catholiques et les orthodoxes, en la transformation du pain en corps du Christ par l’intermédiaire du Saint-Esprit lors de l’Eucharistie. La conséquence de cette transsubstantiation est la « présence réelle » du Christ dans le pain, son corps. Ici est présenté le corps du Christ à l’heure du confinement. Un projet imposé par de lourdes contraintes, puisqu’impossible de sortir pour acheter le moindre matériau à l’extérieur. Le pain est alors ce qu’il reste chez tout le monde, puisque seul les boulangeries et magasins alimentaires restent ouverts. Cette pièce peut également faire écho à la pénurie alimentaire survenue depuis le début de la pandémie, et particulièrement par ces rayons de farine totalement dévastés pour des raisons qui échappent à nombreux d’entre nous.


Le corps du Christ ici se retrouve alors moisi, il retourne à la réalité et à sa condition de mortel, il n’est pas intouchable, pas plus que nous Hommes qui nous sommes sentis invincibles alors qu’un virus de la taille cent fois inférieur à une tête d’épingle, est capable de nous réduire à néant. La moisissure fait alors écho à cette prolifération bactérienne, à ces dégâts infligés sur le corps et sur l’esprit, et à ce monde microscopique capable d’anéantir n’importe qui. Il n’y a pas de protection possible de part sa classe sociale ou son argent comme en temps de « guerre », cette fois-ci chacun est égal, même le premier ministre anglais actuellement en fait la triste expérience. Le corps du Christ touché, nous ramène tous à notre condition de mortel.

Au-delà du propos dur que ce sujet amène, la moisissure peut également se porter messagère de l’espoir. Car en effet au-delà du dégout que celle-ci évoque, elle produit des effets esthétiques fascinants, d’une beauté paradoxale émerveillante, rappelant que dans les choses les plus horribles, il y a de belles choses qui peuvent en surgir. La moisissure est l’allégorie même du temps qui passe, insaisissable, inarrêtable, en constante évolution. Elle évoque la thèse d’Héraclite selon laquelle « toutes choses sont en mouvement »*. La décomposition des matériaux de manière évolutive est un moyen de retranscrire l’action progressive du temps. Ce pain semble alors être la sensible métaphore du tic-tac d’une horloge témoin du temps qui passe durant cette quarantaine inédite dans l’histoire. Cette matière organique, trace microscopique du végétal, crée alors une esthétique insoupçonnée, mutations morphologiques en perpétuelle évolution, semblant rappeler la fragilité du temps et de l’instant.



 

*ARISTOTE, Topiques, I, 11, 104b 19-22, in HERACLITE (-540 - -480), Fragments, Paris, Flammarion, 2002, p. 98.

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